Les vieilles femmes kabyles et la thérapie

"Femmes kabyles" d'Issiakhem



Elles viennent toujours accompagnées par leurs grands enfants. Filles et garçons de deuxième générations souvent très touchants. Certains d'entre eux parlent kabyle. C'est toujours surprenant pour moi. Ils parlent une savoureuse langue familiale qui n'est pas forcément celle du village.



Ces femmes sont de véritables arbres géants, elles sont comme des baobabs déracinés qui respirent encore. En thérapie familiale ou de groupe, je suis largement dépassé et submergé par toutes les riches locutions, proverbes, métaphores que charrie leur langage imagé. Les médecins n'aiment pas ces patientes, car elles parlent d'un corps métaphorique qui défie leurs strictes concepts anatomiques. 




De quoi souffrent-elles ces femmes ?



D'abord de ne peut être devenues belles-mères. Une belle-mère est une régente qui règne sur un monde de belles-filles et qui porte accrochée à sa ceinture les clefs des réserves (provisions alimentaires) et des portes. 

Hélas pour elles, les filles ne sont pas mariées ou vivent en concubinage. Les garçons ont épousé des étrangères. Alors il arrive qu'elles adoptent une de ces filles étrangère qu'elle mettent sous leurs ailes, mais pour autant cela ne fait pas d'elles des brus à initier et à rudoyer s'il le faut. Aller en vacance au pays sans apparaître comme une vraie belle-mère au milieu de ses garçons et de ses initiées n'est nullement gratifiant. Les psy ne comprennent pas ce genre de souffrance. 



Une autre cause de souffrance : Le long compagnonnage affectif avec leurs maris commence à se fissurer. C'est une blessure insupportable : "Yeɣli uvernus n sser garaneɣ" ! Appréciez cette belle métaphore ! Tout un monde de sens et de symboles concrets. Après tant de sacrifices et d'entraide entre eux, des mots durs et parfois des insultes se font entendre. Elles souffrent surtout parce qu’elles sont seules avec une mémoire tellement dense et comprimée qui déborde avec des chants de la guerre d'Algérie, des poèmes, des savoir-faire. 

En vérité, elles ne relèvent pas de la psy mais de groupes de parole pour travailler sur les traumatismes familiaux et l'histoire de Tamurt-nneɣ, de groupes de chant, de poésie, de conte et de philosophie kabyle. Elles veulent transmettre leurs histoires et leurs savoirs au monde-kabyle, Nord- africain et français. Elles ont le syndrome du dernier des Mohicans. Tenger ddunit !

Je les encourage à déclamer leurs poèmes en consultation et je demande à leurs enfants d'enregistrer les paroles de leurs mères. J'ai envoyé certaines d'entre elles dans des associations ou à BRTV...

Elles souffrent d'incompréhension et d'un excès de richesses culturelles non transmises. Elles me disent que le monde de leurs enfants nés ici est réduit à sa plus simple expression. Elles appellent cette de-complexification ( quel mot-caoutchouc ! ) : naïveté ! Elles disent que leurs enfants sont des poussins d'électricité, couvés donc de manière artificielle. 



Un jour j'ai encouragé une de ces femmes à déclamer un chant patriotique de l'époque de la guerre d'Algérie. Eh bien elle a beaucoup hésité avant de chanter. Acimi ? Elle m'a dit qu'elle est en France et qu'elle craint les autorités du pays ! Qui a dit que la guerre est finie ?

Mon conseil : A ces vaillantes paysannes, il faut donner des jardins à cultiver, des assistantes sociales à initier et des émissions ( radio et télévision ) à animer ! Charge à leurs enfants de faire des films et d'écrire des livres sur cette génération de mères, passagères et messagères incomprises de l'Occident.

Femmes-tala, femmes-tamda. 

Femmes subtiles, femmes sibyllines, femmes courageuses.

Je vous aime !


Hamid Salmi

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